La démocratie en RDC selon COLETTE BRAECKMAN,

Samedi 10 avril 2010

Qui, en 2001, aurait pu prévoir que le jeune officier sans expérience politique, qui succédait à son père assassiné, serait encore au pouvoir neuf ans plus tard ? 

A l’époque, Joseph Kabila était considéré comme un intérimaire. Aujourd’hui, le président congolais a pris de l’épaisseur. Elu en 2006 avec 58 % des voix, son autorité est incontestable. Cependant, il n’a toujours pas désarmé les sceptiques et les critiques. Ainsi cette semaine encore, dans un rapport de l’institut d’analyse des conflits International Crisis Groupe, des experts estiment que la construction d’un Etat de droit au Congo est sur le point d’échouer, si un nouvel élan n’est pas donné en 2010. 

Ce rapport estime ainsi que les dirigeants élus ont échoué à changer radicalement de gouvernance. L’ONG soutient ainsi que « la présidence a assujetti le gouvernement, le parlement et le pouvoir judiciaire en profitant de la faiblesse de l’opposition et de la corruption endémique au sein de l’élite » . Alors, le pouvoir selon Kabila est-il condamnable, excusable, justifiable ? Voici notre première radioscopie.

Il a recentré le jeu démocratique

En 2001, le Congo est en guerre, divisé, occupé par des troupes étrangères. Le jeune chef d’Etat ne cache rien de sa faiblesse, sa bonne volonté séduit les Occidentaux, dont le ministre des Affaires étrangères Louis Michel. En 2002, les négociations menées en Afrique du Sud débouchent sur un pacte surprenant : le départ de toutes les armées étrangères et la réunification du pays auront comme contrepartie le partage du pouvoir. « Un plus quatre » : la formule surprend et inquiète. Kabila, qui a dit à ses négociateurs qu’ils « devaient penser au pays plus qu’à sa personne », garde le titre de président, mais partage son pouvoir avec quatre vice-présidents. 

Deux d’entre eux sont issus de mouvements rebelles, Jean-Pierre Bemba supervise l’économie, Azarias Ruberwa est en charge de la Défense et de la Sécurité. L’accord prévoit aussi d’intégrer dans l’armée nationale tous les groupes armés, y compris les rebelles, et tous bénéficient d’une loi d’amnistie. Jusqu’à la date des élections, en 2006, « le Congo est placé sous une sorte de semi-tutelle internationale, ce que Mobutu n’a jamais connu », remarque Gauthier de Villers, ancien directeur du Cedaf (Centre d’études africaines, Bruxelles). Kabila justifie sa prudence et sa discrétion en assurant « qu’il est celui qui porte les œufs ».

Objectif : mener le pays à des élections démocratiques.

En 2006, la nouvelle Constitution prévoit un pouvoir semi-présidentiel : le président doit composer avec un Premier ministre dont le gouvernement doit disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale. Si Kabila l’a emporté au 2e tour c’est en nouant des alliances entre son bloc AMP (Alliance pour une Majorité Présidentielle) et deux autres formations, UDEMO (Union des Démocrates Mobutistes de Nzanga Mobutu) et PALU (Parti Lumumbiste Unifié) d’Antoine Gizenga. Autrement dit, le pouvoir est partagé. « Kabila consolide alors sa position, avec l’appui résigné de la communauté internationale », poursuit Gauthier de Villers.

Ce partage du pouvoir est théorique. En réalité, relève le politologue Jean Omasombo (Institut africain, Bruxelles), « c’est la volonté du président qui devient prépondérante… Lorsqu’il s’est agi de former le deuxième cabinet, toujours sous la direction du Premier ministre Muzito, le chef de l’Etat lui-même est intervenu dans certaines des nominations ».

Le professeur (UCL) Jean Claude Willame confirme qu’en fait, « l’exécutif congolais n’a jamais pu fonctionner comme un véritable contrepoids à la présidence de la République ; les deux Premiers ministres n’ont jamais eu de véritable carrure politique ».

Omasombo souligne aussi que « la présidence s’est impliquée dans les nominations des gouverneurs de province et elle s’intéresse aux tensions qui surgissent au niveau régional ». Au fil du temps, la « présidence » apparaît comme étant le véritable centre du pouvoir, une sorte de gouvernement parallèle, dont les membres avancent ou reculent souvent la volonté du chef.

Il n’a pas changé la culture politique

Au Congo, – comme en Belgique d’ailleurs –, l’équilibre entre les régions est important. « L’entourage est partagé entre les Katangais et les Kivutiens, les originaires du Maniéma sont nombreux », relève Omasombo. Les originaires de l’Ouest et de l’Equateur se retrouvent quant à eux dans d’autres institutions : c’est un Kasaïen, Evariste Boshab, qui préside l’Assemblée nationale, et un ressortissant de l’Equateur Kengo wa Dondo, qui a été élu à la présidence du Sénat. A la droite du président, l’ancien gouverneur du Katanga, Augustin Katumba Mwanke a longtemps joué le rôle d’éminence grise et, ayant la haute main sur les circuits de l’argent, il assure les financements du système. Bête noire des Occidentaux, parfois présenté comme le « paratonnerre » de Kabila, cet homme taiseux et travailleur est branché sur la Chine, l’Afrique du Sud, les nouveaux partenaires d’Asie.

A la gauche du chef, Pierre Lumbi, originaire du Maniéma, occupe le poste de conseiller spécial pour la sécurité, détenu jusqu’à sa mort par le regretté professeur Samba Kaputo, dont Lumbi était le discret adjoint et avec lequel il fonda le « Mouvement social pour le renouveau ». Au titre de ministre des Infrastructures, c’est Lumbi qui a négocié les contrats chinois (9 milliards de dollars en échange de 10 millions de tonnes de cuivre). « Avant de briguer un deuxième mandat, le président voulait présenter des réalisations concrètes à ses électeurs. Puisque les Occidentaux tardaient à s’engager, je me suis tourné vers les Chinois », explique Lumbi.

Le général John Numbi, Katangais et inspecteur général de la police, fut envoyé à Kigali pour y préparer les premières opérations conjointes avec l’armée rwandaise. Seul un Katangais pouvait se permettre de prendre un tel virage à 180 degrés, qui suscita l’hostilité du Kivutien Vital Kamerhe, alors président de l’Assemblée nationale. Evariste Boshab, juriste et professeur d’université formé en Belgique, succéda à Kamerhe et sous ces deux présidences, l’Assemblée abattit un travail législatif considérable. De nombreux anciens mobutistes ou ex-rebelles se sont ralliés au président et ces convertis pèchent souvent par excès de zèle.

S’ajoutent à cela les influences familiales. La mère du président, « Maman Sifa » garde une grande autorité, le nom de Zoé, frère cadet et quasi-sosie de Joseph est de plus en plus cité dans des affaires douteuses ; la sœur jumelle du président, Jaynet, préside la fondation Mzee Laurent Kabila. A cette famille nucléaire s’ajoutent les innombrables oncles et cousins, vrais ou faux et souvent ingérables et pour la plupart relégués au Katanga où ils se présentent aux hommes d’affaires comme des intermédiaires obligés… et coûteux.

Gauthier de Villers relève qu’« il n’y a pas de vrai changement de la culture politique. Dans ce “patrimonialisme décentralisé”, les anciens chefs de guerre se sont associés aux milieux d’affaires ».

Le « chef » a la dent dure

Pour tenter de rapatrier les combattants hutus rwandais, il a d’abord essayé la négociation, et demandé l’aide de la communauté de Sant’Egidio, relève le jésuite Rigoberto Minani, l’un des négociateurs. Ce n’est qu’en dernier lieu qu’il recourt à la force. »

Au lendemain des élections de 2006, Kabila laisse cependant tomber le masque et annonce « la fin de la récréation ». Trois mois plus tard, les milices de son rival Bemba sont dispersées au terme de trois jours d’affrontements meurtriers. La garde présidentielle a tiré à l’arme lourde et Kin’ la frondeuse est traumatisée par les cadavres jetés sur le Boulevard. « Il est bon que les Kinois à leur tour découvrent le visage de la guerre », déclare un conseiller. Lorsque la secte Bundu Dia Kongo, dans le Bas Congo, s’attaque à de symboles de l’autorité de l’Etat (des policiers sont brûlés vifs…), ce début d’insurrection est maté d’une main de fer et les morts se compteront par centaines. Contre ceux qu’il considère comme des ennemis personnels, le « chef » a la dent dure, qu’il s’agisse des condamnés à mort pour l’assassinat de son père ou de Firmin Yangambi, un avocat de Kisangani qui se présentait comme un rival aux élections présidentielles. Accusé de vouloir préparer un coup d’Etat et il a été condamné à mort et clame son innocence. Sait-il que, durant plus d’un an, c’est Kabila lui-même qui l’a piégé, le faisant suivre par son aide de camp personnel ?

Il peine à contrôler ses troupes

Issue des accords de Sun City, l’armée affichait, en 2003, quelque 340.000 hommes : des vétérans de l’armée de Mobutu, parmi lesquels des officiers bien formés et de vieux soldats méritant la retraite, des rebelles venus du Kivu, de l’Equateur, de la Province orientale, des Mai Mai, des enfants-soldats. Et aussi quelque 100.000 soldats fantômes, dont les commandants déclaraient l’existence et percevaient la solde, mais n’existaient que sur papier… Cette réunification des forces armées s’est opérée sur le principe de l’impunité.

Des commandants de forces rebelles se sont retrouvés à de hautes fonctions, comme le général Amisi, un ancien compagnon de Nkunda, aujourd’hui commandant de l’armée de terre et… très fortuné président du club de football Vita Club. L’an dernier encore, l’ex-bras droit du chef tutsi Laurent Nkunda, Bosco Ntaganda, a été placé à la tête des opérations militaires au Kivu après qu’il eut retourné sa veste. Refusant d’exécuter le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale visant Bosco, Kabila déclarait à l’époque : « Pour le moment, je préfère la paix à la justice. » Un an plus tard, l’autorité de Bosco a beaucoup diminué et son arrestation éventuelle ne représenterait plus un casus belli. 

La réforme du secteur de sécurité prévoyait le dénombrement des effectifs réels, la démobilisation, le brassage des militaires de diverses provenances, la création de forces de réaction rapides et, parallèlement, le cantonnement des unités brassées dans des casernes. La Belgique, l’Afrique du Sud, l’Angola et aujourd’hui les Américains, à Kisangani, s’engagèrent dans la formation des nouvelles unités intégrées, mais l’efficacité des troupes a toujours été proportionnelle au versement des soldes, insuffisant et souvent irrégulier. Les 18.000 hommes de la garde républicaine, autrefois appelée garde présidentielle, plus efficaces et mieux formés, sont quelquefois considérés comme la milice privée du président.

Les opérations militaires au Nord et au Sud-Kivu, dirigées contre les bastions hutus, furent unanimement critiquées à l’étranger. « La guerre est loin d’être terminée », assure Oxfam, qui dénonce, comme Amnesty et Human Rights Watch, les agressions, viols et extorsions commis par les nouvelles unités intégrées où se retrouvent d’anciens Mai Mai et des hommes de Nkunda, tandis que les rebelles hutus rwandais des FDLR (Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda) se livrent également à des représailles.

Face à ce « panier de crabes » qu’était son armée, Kabila sévit, promeut, promet de meilleures soldes, achète des armes et des uniformes neufs. Juridiquement, il est responsable des exactions de ses troupes, mais il est encore loin de maîtriser toute la chaîne de commandement.


Un rapport ambigu avec l’argent

Kabila n’est pas autoritaire comme l’était Mobutu…, assure Omasombo, le président n’exerce pas d’autorité directe mais agit via des intermédiaires. Au fil du temps il se révèle un fin politique, maîtrisant bien tout l’échiquier. » Autre témoignage : « Le chef cultive la discrétion, voire le silence. Lorsqu’on lui soumet une idée, il ne dit pas non tout de suite. S’il se contente de murmurer “je te téléphone”, on sait que c’est mal parti », relève un collaborateur. La lenteur est l’un des défauts de la gouvernance Kabila : « Je mets du temps à me décider parce que je veux être juste, tenter de juger les hommes sur leurs actes et non sur des on-dit », assure l’intéressé. « Il n’est pas sûr de lui, n’ose pas trancher rapidement », dit un ministre provincial. Un militant des droits de l’homme : « Comme, avec beaucoup de conseillers ou de ministres, il a partagé des affaires, il lui est difficile de se débarrasser d’eux… »

Aime-t-il l’argent ? A-t-il besoin de moyens financiers pour sa jouissance personnelle, ou pour asseoir son pouvoir ? Ses adversaires et même des amis politiques en sont persuadés : Kabila aime les affaires, il a besoin d’argent. « Mais il ne touche pas au secteur minier, dit un proche, il préfère la terre, l’immobilier. » De fait, le ministre Vanackere a été accueilli, au sud de Lubumbashi, dans la « ferme de l’Espoir » une propriété de 300 hectares. À Kisangani, Goma, Bukavu, Kalemié, la rumeur assure que « la présidence » a acheté un terrain ici, fait construire une villa là-bas, mais rien n’est jamais confirmé…

Ce qui est certain, c’est que Kabila, qui ne prend guère de vacances et s’accorde peu de loisirs, à part un jogging matinal le long du fleuve ou quelques randonnées en voiture ou en moto, utilise l’argent pour consolider son pouvoir ou régler des problèmes particuliers. « Il m’a fait confiance et a financé lui-même l’opération “des armes contre des tôles” ou “des armes contre des vélos” », assure le pasteur Mulunda Ngoy. À tout moment, « la présidence » est sollicitée pour régler des problèmes de transport, de frais médicaux. Comme ces montants ne sont pas budgétisés, des mésaventures sont possibles : un conseiller a perdu son poste parce que, chargé de transmettre une enveloppe à la fille d’un ancien homme politique, il y avait prélevé quelques milliers de dollars. Lorsque la bénéficiaire envoya un texto au président pour le remercier de la somme reçue, ce dernier découvrit que le montant initial avait été amputé durant le transport…

Au milieu de ces « écuries d’Augias », de ce pays miné par la corruption à tous les niveaux, Kabila tente parfois de faire le ménage, punit les militaires, remplace les magistrats. Mais s’abstient-il lui-même de demander au gouverneur de la Banque centrale, l’inamovible Jean-Claude Masangu, de consentir à des décaissements non programmés ? Tout Kinshasa se répète une anecdote où deux escrocs, imitant la voix et l’accent du président, ordonnent au gouverneur de leur livrer une somme importante…

La démocratie balbutie

Le départ de Jean-Pierre Bemba pour la Haye, où il est entre les mains de la Cour pénale internationale, a décapité l’opposition officielle, qui n’a pas encore présenté de relève, son secrétaire général François Mwamba étant jugé peu offensif pour le pouvoir. L’UDPS, le parti de Tshisekedi compte revenir dans le jeu politique, mais son leader est très malade. Le docteur Oscar Kashala assure qu’il se présentera comme candidat à la présidence et disposerait de soutiens en Europe. Aura-t-il les moyens d’affronter les réseaux du président ? En 2006, il n’avait même pas été autorisé à mener campagne en province…

Au sein du camp présidentiel, un « challenger » potentiel comme Moïse Katumbi, le très populiste gouverneur du Katanga, assure que, s’il n’a pas quitté la politique d’ici là, il se réserve pour « le tour suivant » et soutiendra Kabila en 2011. Quant à Vital Kamerhe, qui mena campagne pour Kabila en 2006, il est à présent sur la touche et devra lui aussi attendre son tour.

Les élections, prévues pour 2011, auront-elles lieu ? « Rien ne se prépare, redoute Jean Omasombo, on se demande même comment seront organisées les élections locales. La communauté internationale risque d’être confrontée à un fait accompli : il n’y a pas d’argent… » Pierre Lumbi, conseiller spécial du président, ne partage pas ces inquiétudes : « Les élections auront lieu à la date prévue, on ne change pas les règles du jeu pendant le match, il faut que la démocratie prenne racine. » Le politologue Bob Kabamba ajoute : « Le Congo va trouver de nouvelles sources de financement, comme les redevances téléphoniques. » 

International Crisis Group relève cependant que les élections locales n’ont pas été tenues et qu’une révision de la Constitution pourrait changer les règles du jeu. Si le directeur du Potentiel, Freddy Mulumba, se réjouit de la multiplication des titres, l’association « Journalistes en danger » relève que huit journalistes ont été assassinés, dont un caméraman tué à bout portant à Beni, que les intimidations par SMS se multiplient…

La plupart des observateurs et des militants des droits de l’homme estiment que le pouvoir se resserre et se durcit. « On se demande si Lambert Mende, ministre de l’Information et porte-parole du gouvernement, n’est pas chargé de traduire tout haut ce que penserait Kabila », se demande Jean Omasombo. Mende ne se prive pas : il fustige Human Rights Watch qui critique le comportement de l’armée, coupe le signal de RFI, critique les ONG.


En janvier, Kabila l’avait promis : en plus de voir se développer les grands chantiers de la reconstruction, 2010 sera l’année du social. Il y a urgence en effet : 80 % de la population vit avec moins de un dollar par jour. Pour améliorer la santé, les communications, le président compte sur l’aide chinoise, sur les mesures d’allégement de la dette et l’excédent de la balance commerciale due au doublement du cours des matières premières.

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